Les communs à l’école - Pratiques pédagogiques et postures : de l’impossible aux possibles
Nous avons participé à un webinaire proposé par l’association FEE Faire École Ensemble. Il s‘agissait du premier d’un cycle sur les pratiques des communs dans le champ de l’éducation. Il a été animé par Thomas Germain, membre de l’association.
Vous trouverez sur le wiki la trame de cette rencontre en ligne ainsi que les liens vers les projets évoqués.
Sur le pad, la prise de note collaborative présente les dispositifs présentés par les participant.e.s ainsi que les questions soulevées par les échanges.
Nous avons souhaité un webinaire ouvert sous forme de discussion sur la base de questions préalablement identifiées. En effet, nous avons été amenées à préparer cet échange dans un temps fort d’incertitude sur nos fonctions alors que nous sortions tout juste du confinement et que nos établissements respectifs commençaient tout juste à ouvrir leurs portes. Il nous paraissait intéressant de questionner ce qui nous animait avant cette crise sanitaire et voir ce qui restait fondamental à nos yeux. Le format discussion offrait ainsi, plutôt que des réponses toutes faites, la possibilité de poser des questions nouvelles que la crise aurait fait émerger. A la fin du mois de mai, la vision du CDI ou de nos classes était complètement floue. Que serait notre métier dans les prochains mois/prochaines années ? Le CDI était fermé, la classe d’ULIS ne pouvait pas rouvrir… Les conditions mêmes de notre métier d’enseignantes étaient remises en question. Tout, ou presque, nous semblait impossible. Mais plus les jours passaient plus des “possibles” émergeaient. Et c’est cette posture-là d’accueil, de contact retrouvé avec les élèves que nous souhaitions partager lors de cette session en ligne. Nous nous sommes dit que plutôt que de chercher une vision et d’être créatives dans un contexte dont nous ne voulions pas, nous gagnerions à repérer ce qui manquait le plus. Nous avons eu à cœur de reprendre le contact avec les classes, les élèves pour nous projeter et réactiver un imaginaire possible de ce qu'allaient être nos espaces de classes et nos CDI.
Difficile de se résoudre à tirer un trait sur ce qui nous anime dans le cœur même de notre métier. Un grand pas de côté semblait nécessaire. De la contrainte (forte), des freins (multiples) éclot une posture. N'est-ce pas ce que nous essayons de transmettre lors de nos formations ?
Les fondamentaux sur lesquels nous ancrons notre enseignement ont été empêchés et malmenés par le protocole sanitaire et le confinement, tout au moins dans l'espace commun qui est l'école. Le travail à distance a mis en lumière tous les implicites de nos postures : observer, expliquer, aider, verbaliser, encourager ...Nous nous sommes retrouvées dans une situation d'enseignement dégradée qui nous a mené à de grandes frustrations. Nous voulons retrouver le cœur de notre métier d'enseignante : comment faire pour que les élèves apprennent et s’émancipent dans une école où le "faire société" est essentiel. Une école qui porte des savoirs et des dispositifs qui articulent la formation individuelle et la perspective collective. Nous interrogeons les pratiques sociales du vivre et faire ensemble, socle selon nous d'une école des communs. Les pratiques de coopération, les pratiques d’échanges de tous les savoirs, les pratiques culturelles sont au cœur d’une formation qui invite chaque élève à développer son pouvoir d’agir dans et sur le monde. Les élèves nous disent qu'ils apprécient les petits groupes, détestent les masques...qu’ils souhaitent retrouver de l'ombre et des jeux. Que pouvons-nous leur offrir ? Quels possibles face à ce qui semble impossible ?
De l’individualité au faire société
Ces derniers mois nous ont amené après une période de stupéfaction, à venir interroger les fondamentaux sur lesquels nous appuyer pour continuer à faire vivre des dynamiques collectives. Comment retrouver l’articulation féconde entre l’individuel et le collectif ? Comment faire groupe, et par conséquent faire société, quand élèves et enseignants sont séparés physiquement, ou quand le corps de l’élève est assigné à une table, à une place, à un point sur la cours “Je me sens comme un i sur ce point “ nous dit Elias en ce lundi matin de reprise.
Comment coopérer, faire naître le conflit socio-cognitif à distance ? Peut-on encore créer ensemble quand les objets ne peuvent-être partagés ? Alors que le protocole sanitaire, rigoureux et contraignant semble imposer l’immobilité des corps et le déplacement comment retrouver la liberté de mouvement ? Plus encore il a fallu interroger le sens même de la présence dans l'école puisque tous les élèves n’ont pas pu revenir au mois de mai et juin.
La question de l’inclusion a été elle aussi profondément mise à mal et a semblé disparaître au profit des gestes barrières. L’inclusion des élèves en situation de handicap bénéficiant du dispositif ULIS dans un groupe-classe n’est plus envisageable puisque le protocole sanitaire empêche tout mélange des groupes. Nous vivons un temps de suspension de l’inclusion. En prendre conscience, c’est déjà agir pour redonner du mouvement. Permettre certains aller et retours dans les classes, à titre exceptionnel, organiser des jeux ou des moments de parole dans la cour. Autoriser les corps à se mouvoir, imaginer des déplacements qui respectent la distance pour contourner ce sentiment d’assignation dans un espace défini dont on ne peut s’échapper. Après avoir été confinés chez nous, comment vivre ce confinement interne, dans la classe ou dans l’école ?

De l’auto- formation aux tiers lieux inclusifs
Comment occulter ce que les élèves ont appris pendant ces mois de confinement chez eux ? Certains ont beaucoup appris de ce mois de de confinement à vivre un temps “suspendu”. Nous leur avons proposé de dresser un mur des savoirs à partager en ligne dans le même souci de partage des savoirs possible au CDI avec la « savoirthèque » qui s’inspire du réseau d'échange réciproque des savoirs. La richesse de ce qui a été partagé reflète combien les élèves ont appris de ces temps informels hors les murs du collège : aide au devoir d’un petit frère ou petite sœur, pâtisserie et cuisine, apprentissage d’un instrument de musique, d’une nouvelle langue, s’occuper à plein temps de son animal favori, répertorier les plantes de sa rue ou de son jardin, partager de nouvelles musiques, fabriquer des objets, réparer sa trottinette.
Comment ne pas en tenir compte lorsqu’ils retournent à l’école ? Nous défendons une posture pédagogique qui sait tout à la fois prendre en compte les savoirs émergents et numériques, prendre en compte les savoirs non formels et s’appuyer sur les savoirs fondamentaux. La crise sanitaire a fait émerger la pertinence au sein de nos collèges de lieux tiers (tiers-lieux) que nous développons dans nos CDI ou dans nos classes ouvertes à travers des dispositifs qui se rapprochent des makerspaces (par exemple La petite fabrique). Ces dispositifs, ces espaces sont bien au service d'apprentissages, des révélateurs de motivation, de persévérance et de curiosité face aux savoirs. Nous ne cherchons pas toujours à travers ces espaces à générer une visibilité mais bel et bien à développer chez nos élèves l’envie, le goût d’apprendre. Nous ne cherchons pas à reproduire tel quel le fonctionnement des fablabs de proximités dans lesquels se croisent artisans, bricoleurs ou passionnés de programmation et électronique. Nous travaillons avec eux, y amenant les élèves parfois. Ce qui fonde le socle de ces lieux d'apprentissage, c’est la formation à la participation. Nous souhaitons que nos élèves se sentent légitimes à participer à leur tour à ces environnements de cultures partagées. Nous n’invitons pas systématiquement des adultes extérieurs dans ces lieux afin de laisser tout le loisir aux élèves de s’approprier ces espaces. Ils pourront choisir eux même d’y inviter des parents, des personnes des associations locales pour y être porteurs de leurs propres savoirs. Nous souhaitons leur laisser du temps pour investir leurs projets sans que des adultes interférent ou arrivent avec des projets prédéterminés. Nous envisageons plutôt ces lieux comme soutenus par des savoirs horizontaux, et inclusifs dans lesquels les élèves développent leur créativité, à l’instar ce qui se fait au sein de l'éducation populaire par exemple.

De la créativité à la création
L’importance donnée à l’expression de la créativité des élèves va faire éclore des envies de projets artistiques et culturels : du théâtre, de la musique, de la danse, des arts plastiques.
Lors du retour à l’école après le confinement, les salles dédiées comme la salle d’arts plastiques ou d’éducation musicale, ou encore les CDI, ont été souvent fermées. Il est devenu très difficile de faire de la musique, du chant, du théâtre avec un masque, sans objet, sans se toucher.
En parallèle, le dispositif Sport-Santé-Culture-Civisme (2S-2C) proposé par le ministère suscite des interrogations, des craintes. « Lorsque l’élève n’est pas en cours en classe, le dispositif Sport-Santé-Culture-Civisme (2S2C) permet de proposer des activités sur le temps scolaire qui se déroulent dans le prolongement des apprentissages et en complémentarité avec l’enseignement. ». Or la pratique artistique est rendue difficile voire impossible au sein de l’école, et pourtant, dans le même temps on nous propose de l’externaliser.
La pratique artistique est une voie d’accès pour tous les apprentissages. Elle agit comme un facteur d’unification et de cohésion face à des enseignements segmentés et des apprentissages trop cloisonnés. Elle permet de faire groupe, tout en favorisant la singularité. Enfin, les projets artistiques, par leur rayonnement, favorisent le sentiment d’appartenance à une classe, un dispositif, un établissement. Il sont un propulseur de participation des élèves à un projet collectif.
De l’émancipation individuelle à l’émancipation collective
En favorisant la prise d'initiative et la participation, nous recherchons une émancipation collective. Comment les savoirs, les dispositifs, les ressources que nous mettons en œuvre viennent servir à la fois la connaissance de soi, la compréhension du monde et ses rapports à autrui. Les savoirs sont certes porteurs en eux même d’une émancipation individuelle des individus, en renforçant l’esprit critique mais il convient également de confronter ces connaissances aux expériences des autres ainsi qu’à d’autres savoirs à travers la transversalité qu’offre certains dispositifs ou lieux de l’école tels que les CDI. On apprend en discutant, en argumentant, en partageant et en observant d’autres faire (ce qui renforce d’autant plus son sentiment d’efficacité personnelle).
La continuité pédagogique offerte pendant le confinement n’a été en ce sens que partielle. De fait elle a privé les enfants de tout ce qui permettait de renforcer ces dimensions collectives. Quelques initiatives de travail coopératif ont sans doute pu porter leur fruit et être bénéfiques, en renforçant l’autonomie de chacun, mais selon nous rien n’est venu remplacer le sens premier de l’école qui est de faire société. Des élèves soulignent combien l’entraide a pu leur manquer pendant ces longues semaines “ça m’a manqué de pouvoir aider les autres” nous dit Chanelle. L'école reste un lieu fort de sociabilité et les élèves eu même ont été renforcés dans ce sentiment : “on me vole mes années collège” nous dit cette élève de 3e.
Selon nous, ce sont les pratiques collectives au sein de la classe, du CDI, des espaces communs de l’établissement qui favorise cette émancipation. Les contraintes sanitaires viennent figer ces “possibles”. Nous avons eu besoin d'identifier ce que la crise sanitaire a révélé d'essentiel (en le contraignant). La question qui nous a hantées depuis plusieurs mois maintenant c’est, non pas comment être créatives ou inventives, mais comment continuer à faire perdurer le sens premier de l’école lorsque les portes de celles-ci se ferment ou que les espaces se figent ?