Tiers lieux : fablabs, médiathèques

Thème : Apprenance

Il existe depuis les années 1980, dans les villes, dans les quartiers, des lieux que l’on appelle makerspaces et qui s’appuient sur trois fondements identiques à ceux des communs : une communauté d’usagers qui se forme mutuellement et s‘auto-forme ; des activités qui s’appuient sur la possibilité de créer, reproduire, réparer des objets tout en produisant de la documentation pour que d’autres se forment à leur tour de manière autonome et enfin, une gouvernance partagée. Le fort pouvoir social de ces lieux est mis en avant. Ils s’appuient sur des activités de gestion collective, parfois associative des lieux, d’activités partagées et transmises de pairs à pairs et où l’auto-apprentissage est largement mis en avant. Dès leur apparition, ces lieux s’inscrivent dans la continuité de la contre-culture des défenseurs américains des logiciels libres.

Quatre leviers ont légitimé l’émergence de cet esprit maker (ou bidouilleur) :

- le refus de la hiérarchie,

- la recherche de consensus,

- des pratiques coopératives,

- une dénonciation de la société de consommation.

Une véritable critique de l’organisation du travail se déploie au sein de ces communautés. Le mot d’ordre est « do it yourself », mettant au centre le plaisir de faire soi-même. Les makers trouvent rassemblés en un seul lieu des ressources humaines et matérielles : des machines les plus sophistiquées comme la découpe vinyle, découpe laser, imprimante 3D jusqu'aux outils indispensables au bricolage, en passant par des ressources informatiques, et l’aide des animateurs du lieu. Ressources et expertises individuelles sont mises en commun et affichent des valeurs partagées. On parle alors d’un fort sentiment d’appartenance pour évoquer ces communautés. Pour se reconnaître, les makers s’inventent de nouvelles formes de vivre ensemble, des rites. Les utilisateurs de ces lieux sont souvent assidus, ils viennent partager leur quotidien, leur expérience mais surtout créer du lien en partageant leurs projets, en venant à la rencontre de profils complémentaires. Peu à peu des groupes se forment et des réalisations collectives voient le jour. Ces espaces prennent des réalités variées : ils s'appellent fablabs, hackerspaces, makerspaces, recycleries ou techshops. Derrière ces termes qui recouvrent des acceptations diverses, il y a des points communs, notamment l’utilisation de machines et d’outils longtemps réservées à l’industrie comme les imprimantes 3D ou les machines de découpe laser. Concrètement, ces lieux ressemblent parfois à des ateliers ou à des centres sociaux, parfois encore ils ont pris le relais des cafés de village pour les groupes d’habitués qui s’y retrouvent.

Les fablabs

Le concept a été pensé par un physicien et un informaticien au sein du Medialab du Massachusetts Institute of Technology dans les années 1990. Il s’agit, comme pour les makerspaces, d’espaces de partages de compétences et de technologies pour que les utilisateurs puissent, grâce à l’entraide, construire des objets, en inventer de nouveaux. Les fablabs s’appuient en plus sur un réseau international de partage de ressources et d'initiatives. Ils doivent respecter quatre critères obligatoires : accessibilité pour le public, adhésion à la charte des fablab, présence d’outils et contribution à d'autres projets de fablabs. Ils connaissent un assez grand succès en France, qui est en 2018 le deuxième pays au monde après les États-Unis en nombre de fablabs : il y en a 200 à 250 sur le territoire. Ces lieux sont des espaces ouverts, avec très peu de cloisons. Seul le mobilier y délimite les espaces. Dans la charte, on peut notamment lire ceci : « La formation dans les fablabs s’appuie sur des projets et l’apprentissage par les pairs ; vous devez prendre part à la capitalisation des connaissances et à l’instruction des autres utilisateurs ». Dans ces lieux, les uns redécouvrent le plaisir du faire, d’autres celui du don (du temps, des compétences). Parfois ils prennent des formes militantes : tout ce que la société de consommation rejette est repris pour être hacké donc transformé, y compris la nourriture.

Les bibliothèques troisièmes lieux

La notion de « troisième lieu » ou « tiers-lieu » date des années 1980. Elle a été pensée par le sociologue américain Ray Oldenburg. Le troisième lieu est un lieu qui vient en complément de l’espace familial et de l’espace professionnel. C’est un espace dédié aux relations sociales, aux échanges informels entre personnes. On peut sans doute inscrire les salons littéraires du XVIIIe siècle dans cette définition : invitation à domicile de savants et personnes de lettres, échanges sur des sujets communs, mise en débat des points de vues personnels pour en dégager des idées communes. Ce sont des lieux d'échanges, de jeux, de discussions informelles. Ray Oldenburg constate et déplore une perte de la place de ce type de lieu dans la vie de ses contemporains. Les fablabs et autres makerspaces dont nous venons de parler sont des tiers-lieux. Pour qu’un tiers-lieu fonctionne il semble qu’il y ait besoins de différents critères : une responsabilité et des savoirs partagés, des savoirs d’action. On est loin de la seule image du tiers-lieu comme un espace équipé d’outils multimédias et technologiques.

Les bibliothèques troisième lieu se sont développées d’abord aux États-Unis, aux Pays Bas et en Finlande. Certaines bibliothèques se rapprochent de ce concept en France, notamment depuis le mémoire de Mathilde Servet en 2009 et redéfinissent leurs missions. La bibliothèque troisième lieu refuse de hiérarchiser les savoirs : tous sont bons à partager et tous ont leur place en son sein. Qu’apporte de plus cette démarche ? Les bibliothèques deviennent des lieux de vie de communautés formelles et informelles, des lieux de participation, de spectacles, de concert, de partage. On continue de venir à la bibliothèque pour lire un livre, lire la presse, emprunter un livre mais aussi écouter un CD, emprunter un DVD ou encore rompre une solitude, y rencontrer des amis, y travailler, consulter le web et même boire un café. Ce sont aussi des lieux de culture vivante, en mouvement, partagée. La bibliothèque troisième lieu offre des projets participatifs et des moments de décision collective ou d’engagement. Enfin, c’est un lieu de mixité sociale. La bibliothèque essaie d’attirer de nouveaux publics et ouvre ses portes aux plus déshérités comme les personnes sans abris, non francophones (certaines offrent des cours d'alphabétisation) ou encore aux lycéens et étudiants qui trouvent là les seuls lieux accessibles gratuitement, chauffés et confortables pour se réunir.

À nos yeux, la bibliothèque troisième lieu semble être devenu en ville le seul lieu de socialisation en accès ouvert et gratuit, où aucune identité n’est demandée à l’entrée. Ces bibliothèques cherchent à renforcer les liens entre habitants d’une même ville ou d’un même secteur. Elles peuvent proposer des services pour que les communautés prolongent leur activité en ligne.

De nouvelles postures corporelles sont tolérées : les personnes peuvent s’allonger, s’asseoir au sol, manger parfois. Les règles sont moins strictes que dans les anciennes formes de bibliothèques, elles s’adaptent au public qui peut les discuter ou en proposer de nouvelles. On appelle affordances les possibilités offertes par le mobilier : des tables hautes à l'entrée vont inviter les usagers à manger à cet endroit, des poufs légers vont inciter à les déplacer, des jeux en bois en grand format à se rencontrer, des prises à brancher les ordinateurs personnels et portables. Plus encore, l’agencement du mobilier peut être porteur d’affordances dissimulées, c’est à dire des usages qui détournent les objets de leur fonction première. En autorisant, voir en provoquant ces détournements d’usage du mobilier et des ressources, les professionnels portent le message selon lequel l’usager peut agir sur l’environnement qui lui est proposé. On peut citer ici encore l’exemple des espaces de lecture où certains viennent dormir. De 1989 à 2005, notamment grâce à ces dispositifs, la part de la population allant dans les bibliothèques publiques est passée de 23% à 43 %.